Hervé Martin est directeur du Groupe de recherches actions sur la criminalité organisée (Grasco) et président de l’Observatoire citoyen pour la transparence financière internationale (Octfi)
> Quel état des lieux dressez-vous de la criminalité financière?
Pour commencer, quand on parle de criminalité financière, on se heurte à un problème de définition et d’absence de conceptualisation. Par ailleurs, il n’existe pas d’outils de mesure efficaces de la criminalité financière.
On peut définir la criminalité financière comme recouvrant toutes les infractions commises dans le cadre de la vie économique, des affaires et de la finance et dont peuvent être victimes des particuliers, des entreprises, des États ou des organisations internationales.
Cela recouvre des infractions de droit commun (vol, escroquerie, recel, abus de confiance, etc.) et des infractions plus spécifiques comme le blanchiment, la fraude fiscale, etc.
La connaissance du phénomène de la criminalité financière pâtit de l’absence d’une définition précise et harmonisée du concept et de la difficulté de mesurer une activité par nature souterraine et clandestine.
> Peut-on établir un lien entre criminalité financière et mondialisation?
Les liens entre criminalité financière et mondialisation sont évidents. En permettant la circulation des hommes, des marchandises et l’essor des échanges financiers internationaux, la mondialisation a facilité les trafics et la mise en place de réseaux de crime organisé à l’échelle internationale.
Les organisations criminelles profitent, en effet, de la mondialisation des échanges financiers et de l’accès aux places financières étrangères et à leurs acteurs, Elles en exploitent toutes les failles.
Avec pour conséquence une infiltration de la criminalité financière dans l’économie licite au niveau international.
Lorsque l’on essaye de comprendre comment cette diffusion s’opère précisément, on découvre des techniques d’ingénierie juridique et financière qui créent de l’opacité. Ainsi, par exemple, la fraude fiscale internationale, le blanchiment et la corruption nécessitent de recourir à des entités juridiques opaques, société offshore ou trusts derrière lesquelles peuvent s’abriter les bénéficiaires réels.
À partir du moment où ces sociétés écrans anonymes sont utilisées pour entretenir des flux financiers délictueux, il faut faire de leur lutte une priorité.
> Comment lutter contre la criminalité financière?
L’une des difficultés que l’on rencontre lorsque l’on cherche à lutter contre la criminalité financière tient au fait que les outils sur lesquels elle s’appuie sont utiles au développement du capitalisme financier.
Si on prend l’exemple de la crise financière de 2008, on s’aperçoit que les produits toxiques, à l’origine de la crise, étaient logés dans des entités offshores. Ce sont ces mêmes entités qui permettent le développement de la fraude fiscale au niveau international.
En réalité, on a assisté, au cours des dernières décennies, à une criminalisation organisée des structures financières au niveau international en général et au sein de l’Union européenne en particulier.
Le capitalisme financier a une part d’ombre et a besoin d’opacité pour se développer. Il utilise donc des outils qui sont les mêmes que ceux de l’économie criminelle.
> Quel est le rôle du Groupe d’action financière (GAF) ?
Le GAF, parce qu’il rend possible la coopération internationale dans la lutte contre le blanchiment, joue un rôle essentiel. Tout d’abord, il élabore des recommandations, à charge ensuite à chaque Etat de les transposer à l’échelle nationale.
Ainsi, l’Union européenne qui est membre du GAR, traduit ses recommandations en directives et règlements. Le GAR demande aux États de bien connaître la nature de la menace de blanchiment à laquelle ils sont confrontés de manière à pouvoir mettre en place des mesures adaptées à la gravité du risque.
Pour ce faire, les professionnels concernés (les banques, sociétés d’assurance, avocats, experts comptables, etc.) doivent mettre en place une vigilance qui permette de faire apparaître des situations atypiques devant faire l’objet d’investigations pour vérifier leur licéité, Si un doute subsiste, une déclaration de soupçon doit être faite à Tracfin, la cellule de renseignement financier.
=> Voir la deuxième partie de l'interview