Si la renonciation à une succession paraît simple en théorie, cet acte impacte les relations familiales, pour le meilleur et pour le pire. Entretien avec Jean Breton, médiateur et notaire honoraire.
En tant que notaire, avez-vous eu souvent l'occasion de conseiller ou mettre en œuvre des renonciations à succession ?
Jean Breton : En 40 ans de profession, je pense avoir connu une bonne vingtaine de dossiers de ce genre, cette démarche est donc assez fréquente. Plus précisément, selon les dossiers, c'est une option qui est envisagée par certains héritiers ou par tous.
Quelles sont les principales raisons qui conduisent les héritiers à prendre cette décision ?
J.B. : La raison la plus fréquente est celle qui tient aux dettes du défunt. Souvent, elles peuvent dépasser — et même très largement — l'actif de la succession. Mais il peut aussi y avoir d'autres raisons plus personnelles, éventuellement liées à la structure de la famille. J'ai souvenir d'un père de famille qui avait laissé deux enfants de son mariage et un troisième enfant hors mariage. Ce dernier, sans avoir subi aucune pression mais uniquement pour des convictions personnelles, a décidé de renoncer à la succession de son père.
Je garde également en mémoire les retrouvailles, dans mon bureau, de deux frères, après le décès de leurs parents. Rencontre un peu tendue car ils ne s'étaient pas vus depuis le début de la
Seconde Guerre mondiale : l'un avait rejoint en Angleterre les forces du général de Gaulle, l'autre avait choisi le camp d'en face. Pour « préserver la paix familiale », le second a décidé de renoncer à la succession.
Quelle est généralement l'attitude du renonçant ?
J.B. : Pour le renonçant, la situation est souvent complexe. En effet, une renonciation à succession ne constitue pas qu'un acte de gestion financière ou administrative. Il y a, derrière cet acte, une véritable coupure avec son ou ses parents, et il n'est pas toujours facile de l'assumer.
N'étant pas psychologue mais un peu habitué aux situations complexes dans les familles, il m'est arrivé, à plusieurs reprises, de mettre en garde les renonçants sur les conséquences psychologiques et familiales de cet acte important. J'ai notamment vu plusieurs fois des personnes souhaitant revenir sur leur renonciation, ce qui n'était pas toujours facile juridiquement.
Et comment réagissent alors les autres membres de la famille ?
J.B. : Ils sont, quant à eux, souvent gênés, tant sur le plan psychologique que financier, de la renonciation de leur(s) proche(s).
J'ai assisté à des réunions très émouvantes dans lesquelles les membres non renonçants ont réussi à convaincre ceux qui avaient l'intention de renoncer de ne pas le faire, tout en leur promettant leur aide. Cela a été pour moi une vraie satisfaction d'assister à ces moments de solidarité familiale.
Avez-vous géré des cas atypiques ?
J.B. : Oui, notamment celui d'une personne qui, après avoir renoncé à la succession, a regretté de n'avoir rien conservé de ses parents.
Sur mon conseil, elle s'en est ouverte aux autres héritiers qui lui ont fait la promesse, verbale et morale, de lui donner la priorité si, dans l'avenir, un élément de la succession venait à être vendu.
Effectivement, quelques années plus tard, un petit terrain situé au bord de la Loire, et sur lequel le renonçant venait s'installer lorsqu'il était enfant pour taquiner le poisson, a été mis en vente. Tenant parole, les héritiers lui ont proposé de l'acquérir à prix égal à la valeur fixée lors de la succession : ce qui a été fait, à la grande satisfaction de tous.
Un engagement moral n'a pas de valeur juridique ; mais dans certaines situations familiales et lorsqu'il est respecté, il permet de souder les familles au moins aussi bien qu'un engagement écrit.
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