À plus de 70 ans, Marc et Christiane ont à cœur d'impliquer leurs enfants Julie et Antoine dans un projet familial qui leur survivra. Ils ont donc décidé ensemble de constituer une SCI familiale. Objectif : acquérir des biens immobiliers destinés à la mise en location et financés par l'emprunt.
Leurs enfants qui en assureront la gestion auront pour mission de développer ce patrimoine immobilier et de le faire fructifier. Ils souhaitent réinvestir tous les bénéfices pour multiplier les acquisitions.
Ainsi, dans une vingtaine d'années, Julie et Antoine, tous deux travailleurs indépendants, pourront bénéficier d'un confortable complément de retraite et en faire profiter leurs propres enfants. Restent à définir les modalités de fonctionnement de la société, sa fiscalité et la nature des locations.
SITUATION FAMILIALE
- Parents : Marc et Christiane, retraités
- Enfants : Antoine, 40 ans, photographe, divorcé, un enfant de 10 ans
- Julie, 45 ans, illustratrice, mariée, deux enfants de 14 et 16 ans
Marc et Ghislaine : Nous voulons constituer une SCI familiale pour créer un patrimoine. Nous souhaitons apporter des fonds dont nos enfants profiteraient immédiatement en partie. Nous nous réserverions des parts en usufruit. Que faut-il prévoir dans les statuts ?
Préalablement aux statuts, il est important que vous consentiez une donation-partage à vos enfants. Cela permettra notamment à votre fille Julie, qui est mariée sous le régime de la communauté, d'investir des fonds qui lui sont propres. Cette donation sera suivie de la constitution de la société, dans laquelle l'origine des fonds sera déclarée. La souscription des parts peut se faire en partie en usufruit par les parents et en nue-propriété par les enfants, et pour le surplus en propriété par les enfants. Les enfants retrouveront ainsi la pleine propriété des parts démembrées au décès de leur parent.
La désignation du gérant est libre. Il peut s'agir de Julie, de Antoine, de vous, ensemble ou séparément. Pour le reste, vous êtes libres de fixer vos propres règles du jeu : définition des missions des gérants (entretien de l'immeuble, gestion des mises en location, signature des baux, d'un emprunt au nom de la SCI, achat ou revente...), règles de majorité selon la nature des décisions...
Quels que soient vos choix, il est important de prendre le temps de s'accorder sur toutes les clauses des statuts et d'envisager toutes les hypothèses pour garantir la stabilité et la pérennité de la société.
Antoine : Nous ne souhaitons pas percevoir de revenus, mais investir les résultats dans de nouveaux achats. Quelle est la meilleure solution fiscale ?
En principe, les bénéfices réalisés par une SCI sont imposés à l'impôt sur le revenu. Chaque associé déclare sa quotepart de revenus fonciers en fonction de sa participation dans le capital. Ces revenus fonciers s'ajoutent à ses autres ressources, ce qui peut être pénalisant si celui-ci se trouve dans une tranche d'imposition élevée. En effet, si l'associé relève de la tranche marginale d'imposition à 45 %, ses revenus seront imposés à 45 % majorés des taxes sociales au taux de 15,5 %, soit un taux global de 60,5 %. De plus, cette imposition s'applique même si les revenus ne sont pas distribués aux associés et restent dans la SCI afin de rembourser le prêt ou de financer de nouvelles acquisitions.
Dans votre situation, comme vous ne souhaitez pas percevoir les dividendes, vous avez intérêt à opter pour l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés. Attention, ce choix doit être mûrement réfléchi car il est irrévocable.
Cette solution présente plusieurs avantages. Tout d'abord, peuvent être déduits du résultat imposable non seulement les frais de gestion mais aussi l'amortissement des immeubles détenus par la SCI. Chaque année, le résultat de la SCI est diminué d'une partie du prix d'achat de l'immeuble divisé par la durée de l'amortissement. De ce fait, un déficit est créé, ce qui peut éviter toute imposition. Lorsque la SCI génère un bénéfice imposable, celui-ci est imposé jusqu'à 38 120 € au taux réduit de 15 % puis au-delà au taux de 33,33 %. Si les associés décident de se verser un dividende, un abattement de 40 % s'applique puis les 60 % restants sont imposés dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.
Toutefois, le choix de l'impôt sur les sociétés est pénalisant en termes d'imposition des plus-values. En effet, en cas de vente, vous ne bénéficierez pas des abattements pour durée de détention. Mais votre projet étant de conserver le plus longtemps possible le patrimoine, cette option vous correspond sans doute le mieux.
Julie : Comment emprunter au nom de la SCI ?
Acquérir des biens, par le biais de la SCI, en les finançant par l'emprunt est particulièrement intéressant, en ce moment, en raison des taux très bas.
Comme pour un prêt personnel, la banque vous demandera des garanties en tant que gérants et associés. En tant que travailleurs indépendants, vous devrez, votre sœur et vous, présenter vos trois derniers bilans comptables, pour prouver votre solvabilité. Pour le reste, la seule particularité est que le prêt est accordé à la SCI et que c'est la société qui le rembourse, et non les personnes physiques qui la composent.
Antoine : La location meublée de courte durée est-elle conciliable avec la SCI ?
La SCI est, comme son nom l'indique, une société civile. Dès lors qu'elle loue des logements meublés, elle est considérée comme professionnelle et à ce titre, assujettie à l'impôt sur les sociétés. Dans votre situation, votre projet en termes de gestion du patrimoine et de mise en location du bien répond véritablement à l'impôt sur les sociétés.
Attention toutefois à ne pas fonder toute l'économie de vos investissements sur la location meublée courte durée, type Airbnb, car la législation en la matière ne cesse d'évoluer. Il est important que la rentabilité du bien soit assurée aussi avec une location « classique » si la location saisonnière devenait impraticable.
Antoine : Justement, quelles sont les règles actuellement en vigueur ?
Elles varient selon la situation géographique du bien. Si votre appartement est situé dans une ville de plus de 200 000 habitants ou de la petite couronne parisienne ou dans les agglomérations de plus de 50 000 habitants, situées en zone tendue, vous pouvez oublier la location saisonnière d'une résidence secondaire. Les contraintes (changement d'affectation, versement d'une compensation ...) sont telles qu'elles sont prohibitives. Dans les autres régions, elle demeure possible. Mais il est important de bien se renseigner auprès de la mairie pour connaître la réglementation en vigueur, notamment en termes d'enregistrement et de taxe.
Julie : Quelles sont les conséquences sur mes parts en cas de divorce ?
Vos parts étant propres, elles resteront votre propriété exclusive. Si vous décédez, il faut se référer à ce qui a été prévu dans les statuts. Vous pouvez choisir que les héritiers soient agréés, de sorte qu'ils ne rentrent pas automatiquement dans la société et dans ce cas, il faudra racheter leurs parts. Au contraire, les statuts peuvent décider que les héritiers seront des associés. On peut également faire une différence entre les héritiers, les enfants et descendants qui sont de plein droit associés, et les autres (conjoint, partenaire de Pacs, légataires) qui devront être agréés.
Antoine : Quelles sont les conséquences fiscales en cas de décès d'un associé ?
En cas de décès de vos parents, vous hériterez avec votre sœur de leurs parts. De même, si l'un de vous décède, vos enfants hériteront de vos parts. La SCI est un excellent outil de transmission car elle permet, par exemple, de donner progressivement les parts à ses enfants, voire à ses petits-enfants, de manière à profiter au mieux des abattements sur les droits de donation qui se renouvellent tous les quinze ans : 100 000 € entre parents et enfants et 31 865 € entre grands-parents et petits-enfants. De même, la donation de la nue-propriété des parts permet aux parents de conserver le contrôle et aux enfants de récupérer la pleine propriété au décès sans droits à payer. Vous pourrez envisager cette transmission progressive, une fois les biens remboursés et la SCI très bénéficiaire.
Antoine : Avons-nous intérêt à faire entrer, dès maintenant, nos enfants au capital ?
Vos enfants sont aujourd'hui mineurs. Ils peuvent être associés dans une SCI, à charge pour vous de les représenter lors des assemblées générales.
Toutefois, dans votre situation, les biens locatifs étant financés par l'emprunt, je vous déconseille cette option car elle présente un risque. Or, le mineur, comme les autres associés, est responsable des éventuelles pertes de la société. On associe les mineurs généralement quand la SCI porte sur une maison de famille qui a déjà été payée, et que l'on souhaite transmettre progressivement à frais réduit.
Julie : Si la SCI perd de l'argent, quelle est la responsabilité des gérants ?
Dans une SCI, chaque associé a une responsabilité illimitée à concurrence des parts qu'il détient. En revanche, cette responsabilité n'est pas solidaire ce qui signifie que chaque créancier doit agir à l'encontre de chaque associé et non envers un seul d'entre eux. Cependant, les associés peuvent être solidairement tenus s'ils en ont donné leur accord lors de la souscription du prêt.
De plus, le ou les gérants de la SCI peuvent être déclarés solidairement responsables du paiement des impositions et pénalités dues au Trésor public par la SCI, notamment en cas d'inobservations graves et répétées des obligations fiscales. Il ne faut donc pas prendre à la légère les obligations fiscales de la SCI.
Antoine : Justement, quelles sont les obligations comptables et administratives ?
La SCI est, comme son nom l'indique, une société et elle doit donc fonctionner comme telle. Ce qui implique le respect de nombreuses formalités accomplies par le notaire : rédaction de statuts, insertion dans un journal d'annonces, dépôt au greffe du tribunal, publication au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, immatriculation au registre du commerce et des sociétés...
La bonne gestion d'une SCI nécessite aussi que certaines obligations soient respectées, comme la tenue, chaque année, d'une assemblée générale donnant lieu à la rédaction d'un procès verbal. Une comptabilité doit également être tenue avec établissement d'un bilan lorsque la société est soumise à l'impôt sur les sociétés. Les revenus et les dépenses de la SCI doivent être effectués à partir d'un compte bancaire ouvert au nom de la SCI. L'absence de respect de ces règles peut être sanctionnée par le fisc ou certains associés qui démontreront ainsi le caractère fictif de la SCI. La société peut alors être requalifiée en indivision, avec toutes les conséquences civiles et fiscales que cela implique.
Julie : Comment mettre fin à la SCI ?
La question de la fin de la SCI peut se poser en cas de vente de tous les biens qui la composent ou de retrait des associés. Mais dans la mesure du possible, il ne faut pas dissoudre la SCI.
En effet, cette opération est complexe et coûteuse : droit de partage, liquidation des impôts en report d'imposition, taxe de publicité foncière et, selon les cas, droit de vente. Chaque fois que cela est possible, il est préférable de continuer la SCI, par exemple en trouvant un nouvel associé.